Ce que le deuil déclenche en nous, bien avant les larmes

Christian St-Pierre

On parle souvent du cœur brisé comme d’une image poétique. Pourtant, quand on traverse un deuil, quelque chose se passe vraiment dans le corps. Ce n’est pas seulement une peine qui serre la gorge, c’est tout le système nerveux qui se tend, qui se met en alerte, comme si le monde avait brusquement perdu sa stabilité.

Quand le corps encaisse avant l’esprit

Des chercheurs ont montré que, dans ces moments-là, une petite zone du cerveau s’active fortement : l’amygdale, celle qui surveille les dangers et déclenche les réactions de stress.

Quand elle reste en alerte trop longtemps, le corps ne trouve plus vraiment le repos. Le cœur bat autrement, la respiration se raccourcit, le sommeil devient fragile. Le deuil n’est pas « dans la tête » au sens où on le minimise parfois : c’est une expérience complète, émotionnelle, nerveuse, physique.

Ce qui est troublant, c’est que ce choc ne commence pas seulement au moment de la perte. Souvent, le terrain était déjà fragilisé par des mois, parfois des années, de stress accumulé. Le deuil arrive alors comme une vague de plus, celle qui déborde les digues. On se sent soudain épuisé, vidé, sans défense, et en même temps obligé de continuer à fonctionner comme si de rien n’était.

Se reconstruire par de petites ouvertures

Dans cet état-là, beaucoup de gens se replient. On refuse des invitations, on répond moins, on a l’impression de ne plus savoir « comment être » avec les autres. On se sent trop fragile, trop lent, pas tout à fait à la bonne place. J’ai l’impression que cette timidité-là n’est pas un défaut de caractère, mais une forme de protection : le système nerveux se contracte pour ne pas en prendre davantage.

Avec le temps, pourtant, on peut apprivoiser un peu ce mouvement de retrait. Pas en se forçant à « aller mieux », mais en se donnant de petits appuis. Une bonne respiration, un peu de chaleur, un espace où les émotions peuvent exister sans être jugées. On ne rouvre pas grand les portes du jour au lendemain : on les entrouvre, quelques minutes, puis on voit si le corps suit.

Dans tout ce travail intérieur, le corps et les sens ont une place immense. On ne change pas d’état par la seule volonté. On a besoin d’un environnement qui nous aide à descendre de quelques crans, à retrouver un peu de douceur.

Une odeur peut faire exactement ça : ouvrir une fenêtre à l’intérieur quand tout semble coincé. Certaines huiles essentielles apportent de la chaleur quand on se replie, comme l’orange douce ou la cardamome. D’autres recentrent et apaisent, comme le géranium Bourbon. D’autres encore donnent une impression de bois sec et de stabilité silencieuse, comme l’amyris ou le cèdre de Virginie. Elles ne créent pas le bonheur, mais elles préparent le terrain, elles permettent à l’intérieur de se déposer assez pour que l’extérieur redevienne un peu moins intimidant.

Dans cet esprit, je me suis aussi amusé à créer un sel de bain avec ce type de synergie : une base de sels minéraux, mêlée à ces notes d’agrumes, d’épices douces et de bois. Rien de spectaculaire, juste un bain tiède qui devient un endroit tranquille où le corps se réchauffe, où le repli se détend un peu, où la proximité, avec soi-même et avec les autres, redevient possible. Ce n’est pas un traitement ni une solution miracle, seulement un geste sensoriel qui aide le système à se sentir un peu plus en sécurité. À découvrir ici >.

Et c’est souvent là que quelque chose de très simple commence à changer. Quand on devient un peu plus doux avec soi, on retrouve une petite marge pour être bon avec les autres. Un mot qui tombe moins sec. Un sourire qui revient sans effort. Une conversation que l’on laisse durer un peu plus longtemps avant de se retirer.

Le deuil ne disparaît pas, il ne s’efface pas comme une mauvaise page qu’on tourne. Mais il cesse, peu à peu, de dicter tout le paysage. Entre deux vagues, il reste des moments possibles : une odeur qui réconforte, un bain qui relâche la tension, la présence discrète de quelqu’un qu’on laisse approcher.

Et peut-être que le bonheur, après une perte, ne ressemble plus à ce qu’il était avant. Il se reconstruit autrement, à partir de ces gestes minuscules qui disent au corps et au cœur : tu as encore le droit d’être là.

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