Traverser le deuil avec les huiles essentielles

Christian St-Pierre

Quand l’absence s’installe, le temps se défait et le corps se crispe : la respiration raccourcit, les gestes deviennent mécaniques, puis la vague revient sans prévenir. Les huiles essentielles n’ont pas pour rôle d’effacer la peine ; elles peuvent simplement créer un moment respirable, assez doux pour tenir debout sans se casser.

L’immortelle m’aide à rassembler ce qui s’est défait ; la myrrhe ralentit le tumulte et donne du poids là où tout flotte ; le cyprès remet du mouvement dans la gorge et le souffle ; le benjoin réchauffe l’intérieur comme un nid ; l’amyris pose un calme habité pour traverser la journée.

Je reste sur des gestes modestes, répétés : une minute d’inhalation quand la vague monte, une diffusion courte en fin de journée pour adoucir la pièce, une trace très diluée (1–2 %, 1 goutte pour 5 ml d’huile végétale) sur le sternum seulement si ça fait du bien.

Rien à forcer, rien à prouver : créer un peu d’air entre les vagues, accueillir ce qui vient, puis choisir une petite action simple, ouvrir la fenêtre, écrire une phrase, boire quelque chose de chaud.

Passons au concret : comment les utiliser, à quel moment, et quoi faire si l’on préfère une seule huile ou un duo.

1- Immortelle / Hélichryse italienne (Helichrysum italicum)

Molécules clés : acétate de néryle, italidione, γ-curcumène
Effet global : réparateur et harmonisant ; apaise le choc émotionnel, adoucit les tensions et soutient une réparation douce lorsque l’on se sent meurtri, intérieurement ou extérieurement.

Dans le deuil, quelque chose perd sa forme : le temps se déplie, le corps se contracte. L’immortelle n’essaie pas d’effacer ça ; elle m’aide à ramasser doucement les morceaux pour que la douleur devienne respirable.

Sa note chaude, sèche, un peu miellée, pose un baume discret sur la poitrine : la respiration s’approfondit, l’intérieur se réorganise, fragile mais tenable.

Concrètement, je reste minimaliste. Une inhalation lente de 60–90 secondes quand la vague monte ; en fin de journée, une diffusion courte d’une dizaine de minutes pour adoucir la pièce sans forcer la parole.

Sur la peau, seulement si je m’y sens prêt : une dilution légère (1–2 %) au sternum, posée comme un geste de soin. L’odeur est profonde, parfois déroutante ; je l’arrondis souvent avec un bois doux ou un baume pour la rendre plus accueillante.

Mon geste : quand le vide tire trop fort, je respire avec l’immortelle quelques cycles, puis je garde la main sur le sternum encore trois expirations. Je ne cherche pas à « aller mieux » tout de suite ; j’essaie juste d’être avec ce qui est, sans me briser.

2- Myrrhe (Commiphora myrrha)

Molécules clés : Furanoeudesma-1,3-diène, Curzérène, Lindestrène
Effet général : Ancrant et profondément réconfortant ; stabilise la respiration, calme l’agitation intérieure et soutient une présence tranquille lorsque les émotions sont lourdes ou dispersées.

La myrrhe a ce quelque chose de grave et doux à la fois. Quand le chagrin devient dense, qu’on se sent comme « sous l’eau », elle invite à ralentir et à rester présent, sans être englouti.

Sa note résineuse-terre, un peu sombre, donne du poids là où tout flotte : la respiration trouve un appui, l’émotion circule sans débordement. Elle ne pousse pas à parler ; elle accompagne le silence.

Concrètement, je l’utilise quand l’esprit tourne en boucle ou quand la poitrine se serre. Une inhalation lente, 60–90 secondes, suffit souvent à redonner un peu de sol sous les pieds.

En diffusion douce, dix minutes créent une ambiance plus lente, presque rituelle, utile en fin de journée, quand tout fatigue. Sur la peau, je reste très léger : une dilution faible (1–2 %) sur le sternum ou la nuque, pré-mélangée dans une huile végétale (la résine est tenace).

Mon geste : quand tout devient trop dense pour être nommé, je respire avec la myrrhe quelques cycles, puis je reste assis en silence. Pas pour trouver du sens, juste pour sentir que je tiens encore debout, doucement.

3- Cyprès toujours vert (Cupressus sempervirens)

Molécules clés : α-Pinène, δ-3-Carène, Limonène
Effet général : Fortifiant et régulateur ; soutient une respiration stable, apaise les débordements émotionnels et apporte une clarté posée et ancrée lorsqu’on se sent dépassé ou agité.

Dans le deuil, il arrive que tout se fige : la gorge se noue, le souffle se raccourcit, l’émotion reste coincée sans trouver d’issue. Le cyprès ne pousse pas à « lâcher prise », expression que je trouve souvent trop brutale, il aide simplement à remettre du mouvement là où ça s’est arrêté.

Sa note résineuse, sèche et fine, ouvre la cage thoracique, détend un peu la gorge et crée ce petit espace où l’on peut respirer à nouveau… et parfois pleurer, enfin.

Je m’en sers surtout quand l’émotion reste bloquée derrière les côtes. Une inhalation lente de 60–90 secondes suffit souvent à retrouver un fil de souffle plus long.

En diffusion, dix minutes donnent une ambiance claire, presque verticale, comme si l’on se tenait dehors sous un arbre : ça aide à se rappeler que la vie continue autour. En cutané, je dilue à 1–2 % sur la nuque ou le sternum, rarement plus ; j’évite si la peau est très réactive.

Mon geste : quand je sens la gorge se serrer sans que les larmes viennent, j’inspire doucement avec le cyprès et je me tiens près d’une fenêtre. Parfois rien ne se passe ; parfois, le souffle se remet à circuler, et ça suffit pour la journée.

4- Benjoin (Styrax tonkinensis, résinoïde)

Molécules clés : Dérivés de l’acide benzoïque, Vanilline, Esters cinnamiques
Effet général : Chaleureux et enveloppant ; apaise la tension émotionnelle, apporte une douce sensation de sécurité et favorise une détente profonde lorsque le cœur est serré ou agité.

Dans le deuil, on se retrouve souvent suspendu : le monde continue, mais dedans tout reste à l’arrêt. Le benjoin apporte une chaleur simple, presque domestique.

Sa note vanillée-baume crée une impression de « intérieurement habité », comme si l’on avait de nouveau un endroit où se poser. Ce n’est pas une huile qui remonte : elle réconforte, elle tient compagnie.

Je l’utilise surtout en fin de journée, quand tout est trop lourd pour être pensé. Une inhalation lente de 60–90 secondes aide à relâcher les épaules.

En diffusion, dix à quinze minutes posent une atmosphère enveloppante, propice au repos ou à une parole simple. Sur la peau, je reste minimaliste : une dilution faible (1 % environ) sur le sternum ou les poignets ; la texture résinoïde demande souvent un mélange préalable dans une huile végétale.

Mon geste : quand je ne sais plus quoi faire de la peine, j’ouvre le benjoin, je reste immobile quelques respirations et je laisse la chaleur faire son travail, sans questions, sans réponses. Juste un moment de compagnie.

5- Amyris (Amyris balsamifera)

Molécules clés : Valérianol, Élémo l, Eudésmol
Effet général : Ancrant et délicatement apaisant ; libère l’agitation, soutient une concentration tranquille et apporte une douceur boisée propice à dénouer les tensions et à calmer un esprit trop actif.

Dans le deuil, l’énergie devient étrange : trop basse pour avancer, trop nerveuse pour se reposer. L’amyris offre un calme habité, pas l’engourdissement, mais une stabilité discrète qui permet de traverser la journée sans se casser.

Sa note boisée-baume, douce et un peu ambrée, descend doucement dans le corps ; la respiration se fait plus large, l’esprit moins dispersé.

Je l’utilise quand je sens que je flotte ou que je m’effondre de l’intérieur. Une inhalation lente de 60–90 secondes aide à retrouver un axe simple : je tiens debout, même fragile.

En diffusion, une dizaine de minutes suffisent pour poser un fond tranquille, utile avant le soir ou avant de se remettre à une tâche concrète. Sur la peau, j’en mets très peu : dilution 1–2 % sur le sternum ou la nuque, comme on pose une main pour rassurer. L’amyris n’impose rien : il accompagne, il soutient.

Mon geste : quand je me sens un peu vide, j’inspire l’amyris quelques cycles, puis je choisis une seule action modeste, faire le lit, préparer un thé, ouvrir la fenêtre. Pas pour aller mieux : juste pour rester en mouvement, doucement.

Un sel de bain botanique pour traverser le deuil

Pourquoi je propose des bains pour traverser le deuil

Le deuil n’arrive jamais de façon simple. Parfois il est brutal, parfois il s’installe en silence, mais il a toujours ce point commun : il bouleverse tout. Les repères se décalent, le temps ne passe plus de la même manière, le corps lui-même semble fatigué d’avoir trop ressenti. Il y a des jours où les larmes viennent facilement, d’autres où l’on ne ressent presque plus rien, juste une grande distance à l’intérieur.

Dans ces moments-là, je ne crois pas aux recettes ni aux discours qui promettent de « tourner la page ». Le deuil n’est pas quelque chose qu’on règle : c’est quelque chose qu’on traverse, avec ses vagues, ses retours, ses accalmies.

Pour moi, le bain peut devenir un de ces rares endroits où l’on peut se déposer sans rôle à jouer. L’eau chaude entoure le corps, les muscles lâchent un peu, la respiration reprend un rythme plus profond. Il n’y a rien à expliquer, rien à justifier. Juste soi, l’eau, le silence, et la permission, pendant quelques minutes, d’être exactement comme on est : vidé, triste, en colère, reconnaissant, perdu… ou tout ça en même temps.

Dans ce contexte, les huiles essentielles ne sont pas là pour « effacer » la peine. Elles créent plutôt un climat autour de cette peine : un peu plus de douceur, un peu plus de chaleur, quelque chose qui permet à la douleur de respirer sans tout emporter.

Pour le deuil, j’ai choisi une synergie qui ressemble à une présence discrète :

  • L’amyris pour son côté boisé, chaud, presque tendre, qui apporte un ancrage silencieux.
  • Le vétiver pour enraciner en profondeur, aider à supporter le poids émotionnel sans se dissoudre.
  • La camomille romaine pour apaiser le système nerveux, bercer les tensions, offrir une forme de réconfort.
  • Le géranium Bourbon pour harmoniser les émotions, adoucir les hauts et les bas intérieurs.
  • L’orange douce pour ramener une touche de lumière, très douce, comme un rayon timide après la pluie.
  • Une note de rose pour réintroduire la tendresse, la dimension du cœur, ce lien subtil entre la peine et l’amour.

Ensemble, ces huiles ne font pas disparaître l’absence. Elles posent plutôt une main chaude sur l’épaule, invitent à respirer, à laisser venir les souvenirs sans être complètement submergé. C’est un bain d’ancrage et de mémoire, pensé pour les moments où l’on a juste besoin d’un peu de douceur autour de ce qui fait mal.

Ma façon de fabriquer ces sels de bain

Comme pour les autres synergies, mon intention n’est pas de lancer une grande production. Chaque sel de bain botanique est fabriqué un par un, au moment de la commande. Je travaille doucement : je pèse, je mélange, je sens, j’ajuste. Ce rythme lent me semble important, surtout pour un rituel lié au deuil. Je ne veux pas que ces bains soient un produit « de plus » sur une étagère, mais un geste concret, humain, préparé avec attention.

Je souhaite rester simple, accessible et sincère. Je n’ai pas le projet d’ouvrir une usine, ni d’inonder le marché. Mon objectif, c’est d’offrir quelque chose de vrai, d’authentique, qui puisse accompagner une personne dans un moment fragile, sans lui faire de promesses qu’on ne peut pas tenir. Quand quelqu’un me partage son expérience, ce que ce bain a représenté pour lui ou elle, une nuit un peu plus douce, un moment de calme, un souvenir qui se pose, j’en suis profondément touché. Ce partage fait partie du processus, c’est déjà une forme de guérison.

Et il faut le dire avec honnêteté : ni les huiles essentielles, ni mes sels de bain ne guérissent le deuil. Ils ne remplacent ni l’amour, ni le temps, ni l’accompagnement humain dont on peut avoir besoin.

En revanche, ils peuvent offrir un cadre sensible : un instant où le corps est entouré, où le cœur se sent un peu moins seul, où la douleur peut exister sans être ni étouffée ni amplifiée. C’est parfois dans ces pauses-là que quelque chose se met à circuler à nouveau : une larme, un souvenir plus doux, une gratitude discrète, la simple sensation de pouvoir continuer, un jour de plus.

Ce bain n’est pas une solution ni une étape obligée. C’est un petit rituel de présence, créé pour accompagner la traversée, en douceur, un geste pour soi, au milieu de tout ce qui ne dépend pas de nous.

Si vous souhaitez le découvrir, voici le lien. >>>

Pour aller plus loin

Pour approfondir l’accompagnement olfactif du deuil, deux ouvrages se distinguent.

Aromatherapy for Healing the SpiritGabriel Mojay explore avec nuance la relation entre huiles essentielles, chocs émotionnels et reconstruction intérieure. Sa lecture aide à comprendre comment certaines essences (rose, encens, néroli, santal) participent à pacifier le cœur et soutenir la transition.

The Fragrant Mind Valerie Ann Worwood propose une approche sensible et pratique : portraits émotionnels, rituels olfactifs simples et pistes pour transformer la tristesse, l’agitation nocturne ou le sentiment de vide.

Ces ressources ne substituent jamais l’accompagnement médical ou psychothérapeutique, mais offrent un éclairage précieux sur la place du rituel et du parfum dans la guérison intime.

Conclusion — laisser la peine respirer

Je n’essaie pas de « tourner la page ». Je prépare l’intérieur : une odeur qui tient le cœur, une respiration, une micro-marche, un texte court à quelqu’un qui comprend. Le deuil avance par vagues ; on avance un pas à la fois, c’est suffisant pour aujourd’hui.

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