Quand la pluie nous apprend à retrouver confiance en soi
Christian St-PierreIl y a quelque chose d’étrange qui se produit avec l’âge : on perd une partie de la légèreté qui nous habitait. Ce qui, enfant, nous faisait rire ou courir, devient à l’âge adulte un motif de plainte. La pluie en est l’exemple parfait. Enfant, on sautait dans les flaques d’eau en éclaboussant tout, au grand désespoir de nos mères. Aujourd’hui, il suffit de quelques gouttes pour nous mettre de mauvaise humeur. Et un jour, sous une averse particulièrement insistante, j’ai réalisé que ce n’était pas la pluie le problème : c’était mon regard sur elle.
Depuis que j’ai Polo, mon barbet joyeux et un peu clown, je n’ai plus le choix de sélectionner mes journées d’extérieur. Il faut sortir, que le temps soit doux ou franchement détestable. Et c’est souvent dans ces moments-là, forcé d’être dehors alors que tout en moi aurait préféré rester à l’abri, que j’ai appris quelque chose de précieux : la confiance en soi ne se reconstruit pas seulement dans les grands gestes, mais aussi dans notre capacité à changer notre façon de percevoir ce qui nous entoure.

Retrouver la légèreté qu’on croyait perdue
En marchant avec Polo sous l’averse, j’ai eu un flash de l’enfant que j’étais, celui pour qui la pluie n’était pas une contrainte mais une aventure. Ce souvenir m’a frappé : ce n’est pas la météo qui a changé, c’est moi.
Avec les années, on se crée des barrières mentales, des réactions automatiques, des anticipations négatives. On associe la pluie à l’inconfort, à la lourdeur, à la journée qui commence « mal ». On oublie qu’à l’intérieur de nous vit encore ce gamin capable de trouver de la liberté dans ce qui est imprévu.
Polo, lui, n’a jamais oublié. Sous la pluie, il danse, renifle, saute dans une flaque comme si c’était la découverte de l’année. Et à force de le suivre, j’ai commencé à laisser tomber un peu du sérieux que la vie adulte dépose sur nos épaules. Il m’a fait sourire à des moments où j’aurais normalement râlé. Il m’a rappelé que la légèreté n’est pas un luxe, mais un choix.
Ce n’est pas l’averse qui pèse, mais la façon dont on s’y prépare
Cette réflexion a pris tout son sens le jour où j’ai enfin décidé de m’équiper pour apprécier ces marches forcées. Un simple chapeau de feutre a changé ma relation avec la pluie : visage protégé, mains libres, plus besoin de me débattre avec un parapluie. Ajoute à cela un manteau style Barbour, des pantalons imperméables et de bonnes bottes doublées, et soudain, la pluie n’était plus un ennemi.
Elle devenait une expérience. Ce jour-là, j’ai compris quelque chose que je n’avais jamais formulé : on ne déteste pas la pluie, on déteste être mal préparé pour elle. Et c’est exactement ce qui arrive avec la confiance en soi. Souvent, ce n’est pas le monde extérieur qui nous fait peur, mais notre propre sensation de ne pas être équipé pour l’affronter.
Depuis que je sors sous la pluie bien protégé, je redeviens presque un gamin. Je marche avec plaisir, je ris parfois tout seul, je regarde Polo faire des absurdités qui me ramènent à une simplicité que j’avais oubliée.
La pluie, autrefois lourde, est devenue un rappel : la vie change quand on change la manière de l’aborder. Et ce petit ajustement, cette permission de retrouver la légèreté, nourrit quelque chose de très solide en dedans : la confiance de pouvoir transformer son quotidien, un regard à la fois.
Comment la confiance s’effrite… et comment elle revient
Quand je regarde autour de moi, je vois que cette question de confiance en soi ne touche pas que quelques personnes sensibles. Les plus jeunes, surtout, grandissent dans un monde où tout se compare, se mesure, se regarde à travers un écran. Les études récentes montrent que les ados et jeunes adultes sont beaucoup plus sensibles que nous aux retours qu’ils reçoivent, aux commentaires, aux « likes », aux silences aussi. Une remarque blessante ou un échec visible peut faire chuter leur sentiment de valeur bien plus vite qu’on ne l’imagine.
Chez les adultes, ce n’est pas la même histoire, mais le résultat se ressemble : perfectionnisme, peur de ne pas être « assez », impression d’être constamment en décalage avec ce que la vie exige.
On se compare à des vies filtrées, bien rangées, des réussites qui se racontent mieux que les doutes. On ne voit des autres que les vitrines, jamais les arrière-boutiques. À force, on finit par croire qu’on est le seul ou la seule à se sentir dépassé, fatigué, moins solide que ce qu’on montre.
Tout ça n’a l’air de rien, mais ça use la confiance par-dessous, comme une pluie fine qui finit par traverser le tissu. Le climat économique, les crises, l’impression que tout va trop vite… tout ça n’aide pas non plus. Alors on se referme. On se méfie de soi. On évite ce qui pourrait nous mettre à l’épreuve. On se croit fragile, alors que souvent, on est simplement fatigué, sur-sollicité, bombardé de comparaisons et d’images qui ne sont pas la vraie vie.
La pluie, pour moi, est devenue un symbole de tout ça. Pendant longtemps, je la traitais comme une mauvaise nouvelle. Une journée gâchée d’avance.
Et puis je me suis rendu compte que ma réaction était disproportionnée : ce n’était pas un danger, juste un inconfort. Un peu comme lorsqu’on dramatise un projet, un regard, un commentaire, jusqu’à leur donner une importance qu’ils n’ont pas. La confiance en soi commence à se fissurer quand on confond inconfort et menace, quand tout devient plus lourd que nécessaire.
Ce qui m’aide, et que j’ai envie de partager, ce n’est pas une méthode, mais une manière d’entrer en relation avec ces moments-là. Quand je sens que quelque chose ébranle ma confiance, j’essaie de faire ce que j’ai appris sous la pluie : d’abord, je prends un mini temps d’arrêt. Juste assez pour me demander :
Est-ce vraiment si grave, ou est-ce que mon mental est en train d’en faire tout un film ?
Parfois, la simple question suffit à relâcher un peu la tension. On ne change pas la situation, mais on enlève une couche de dramatique.
Ensuite, j’essaie de voir si je peux m’« équiper » différemment, comme je l’ai fait avec mon chapeau et mon manteau. Quand la confiance est touchée, l’équipement, ce peut être quelque chose de très concret et de très simple :
- prendre une pause des réseaux sociaux pendant quelques jours pour cesser de se comparer à tout le monde,
- se concentrer sur une seule petite chose réalisable dans la journée au lieu de se noyer dans une liste interminable,
- demander à une personne de confiance ce qu’elle voit de nous quand nous, on ne voit plus que nos défauts.
Ces petits ajustements ne changent pas qui on est, mais ils changent le ressenti : on se sent un peu moins pris au piège, un peu plus capable de respirer.
Avec le temps, je me rends compte que la confiance ne revient pas en se répétant qu’on est compétent, mais en accumulant de petites preuves silencieuses qu’on peut traverser les choses. Sortir sous la pluie et s’apercevoir qu’on supporte finalement très bien cette marche. Dire non une fois et survivre à la réaction de l’autre. Essayer quelque chose de nouveau avec la possibilité d’échouer… et découvrir que, même si ça rate, on reste entier. Ce sont des gestes minuscules, mais le corps les enregistre. Il se souvient : « J’ai réussi à passer au travers. »
Le problème, aujourd’hui, c’est qu’on se regarde souvent avec les yeux des autres. On évalue notre valeur comme on évalue une publication : combien de réactions, combien de signes visibles que « ça vaut quelque chose ». Pourtant, les moments qui reconstruisent vraiment la confiance ne sont pas spectaculaires. Personne ne les voit. Ils se passent dans un salon, dans une marche, dans une cuisine, dans un silence. La pluie m’a rappelé ça : ce qui change ma vie ne fera jamais un bon « avant/après » pour Instagram. Et c’est très bien comme ça.
Si je devais résumer ce que j’ai compris, ce serait peut-être ceci : la confiance en soi ne revient pas quand tout redevient facile, mais quand on cesse de se raconter qu’on est incapable d’affronter ce qui est difficile.
On n’a pas besoin de devenir intrépide, juste un peu plus doux avec soi quand on se sent petit. Un peu mieux équipé. Un peu plus curieux de voir ce qui se passe si, malgré la peur, on y va quand même.
La pluie ne m’a pas rendu plus courageux. Elle m’a montré que je pouvais rester moi-même, même quand le ciel se met à tomber. Et c’est peut-être ça, la vraie confiance : savoir qu’il y a en nous quelque chose qui ne s’écroule pas à la première averse, et qu’on peut, pas à pas, réapprendre à marcher avec soi-même au lieu de marcher contre soi.